Les mots de L'À-PROPOS

Le journal L’À-Propos vulgarise sans simplifier. Chaque jeudi, découvrez les dessous des rouages politiques, institutionnels et juridiques d'un sujet d'actualité.

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Par JOURNAL L'À-PROPOS
18 juil. · 3 mn à lire
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Élection de la quatrième personnalité de l’État : au-delà du politique, des enjeux institutionnels de taille

Cet après-midi à 15h30 sera élue la nouvelle présidence de l’Assemblée nationale. Mais au-delà des pouvoirs politiques d’un Premier Ministre, la quatrième personnalité de l’État dispose elle de pouvoirs non négligeables pour notre avenir institutionnel. On vous explique tout ici :

Illustration de Margot Soulat

La boucle se boucle

Hier soir, nous sommes allés interroger les habitants du 9e arrondissement de Paris, confortablement installés en terrasse le long de la rue Turgot. En cette veille d’élection parlementaire et de potentielle nomination à la tête de Matignon, Tarek, Anastasia, Thibault, Maria et Jorge nous ont partagé leurs impressions de l’instabilité du moment politique.

Thibault revient tout juste de 6 mois passés à Séoul, la capitale de la Corée du Sud. S’il a beaucoup été interrogé là-bas par des amis expatriés sur la situation politique en France, lui, n’est pas inquiet. À 20 ans, il considère la dissolution comme une « merdouillette  qui va se tasser ». Étudiant en ingénierie biomécanique, la potentialité que le gouvernement soit bloqué ne l’intéresse pas vraiment.

Anastasia, Jorge et Maria partagent la même opinion : pour eux, l’instabilité politique et la radicalité des débats français ne sont pas aussi intenses que dans d’autres pays du monde.

Anastasia est spécialisée en géopolitique et souligne que si un parallèle peut être fait avec les États-Unis, la France demeure moins extrême. La jeune femme de 27 ans marque son « soulagement face à l’échec du Rassemblement national, qui aurait constitué un grand retour en arrière » et ne se sent « pas inquiète, même si l’ambiance actuelle est lourde ».

Jorge, originaire d’Argentine et Maria, d’Ukraine, ont été récemment naturalisés après un long parcours administratif de cinq années. Ce couple d’amis admet ne pas s’être beaucoup intéressé à la politique française avant d’acquérir le droit de vote.

Pourtant, à 54 ans, Jorge s’inquiète d’une dynamique similaire à celle de l’Argentine, où l’extrême droite a gagné les élections en novembre 2023 à la suite de l’accumulation d’un mécontentement populaire après des années de néolibéralisme.  

Pour lui, « si la gauche ne se révèle pas dans les droits économiques, la droite extrême arrivera au pouvoir aux prochaines élections ». « J’ai une vision noire de l’avenir de la politique française », conclue-t-il.

À 45 ans, Maria estime que la situation est temporaire : « ça n’est pas comme si la démocratie en France allait s’écrouler ». En comparaison à son pays, Maria « relativise », même si elle observe « qu’il y a une tendance à la diminution des droits ».

À 39 ans, Tarek semble affligé par la proposition du Nouveau Front Populaire de Laurence Tubiana pour le poste de Première Ministre, qui, selon lui, « est une macroniste ». À ses yeux, le parti socialiste fait « n’importe quoi, comme d’habitude » et renforce les positions de « Macron, qui a tout cassé ». Tarek indique ne s’informer que par des sources de « journalistes indépendants », qui « montrent ce que les grands médias français nous cachent ».

Faisant allusion à des rumeurs diffusées sur les réseaux sociaux et contre-enquêtées comme fausses par de nombreux journaux, Tarek estime que de « grands lobbys comme le cabinet Black Rocks contrôlent le jeu politique français ».

 

Un micro trottoir de Charlotte Culine


 Illustration de Margot Soulat

Du haut de son Perchoir

Pourquoi l’instabilité politique rend l’élection de la nouvelle présidence de l’Assemblée encore plus importante qu’elle ne l’est habituellement pour nos institutions ?

 

Pour celles et ceux qui suivent l’actualité ces derniers temps, il y a beaucoup - vraiment beaucoup, été question de l’élection de la « quatrième personnalité de l’État » trônant à la présidence de l’Assemblée nationale.

Dans le marasme ambiant, il est bien normal que de nombreuses analyses se soient concentrées sur les conséquences politiques de l’arrivée au Perchoir d’un parti ou de l’autre, en termes de calendrier parlementaire, de cadrage des débats et de nomination à Matignon.

À ce titre, nous avons sélectionné ce court florilège journalistique, non moins intéressant que ce que nous nous apprêtons à ajouter à sa suite :

« Le rôle de président de l'Assemblée nationale s'annonce crucial lors de la législature à venir en raison de la composition de l'hémicycle » L’internaute, article du 17 juillet 2024 : Présidence de l'Assemblée nationale : un match entre Braun-Pivet, Genevard et Chatelain ? (linternaute.com)

« L'enjeu est de déterminer le rapport de force entre les trois blocs représentés à l'Assemblée. » RFI, article du 15 juillet 2024 : Présidence de l'Assemblée nationale française: l'enjeu d'une élection stratégique (rfi.fr)

« Les résultats de cette élection à la présidence pourraient changer la donne quant à la nomination du ou de la futur(e) Premier(e) ministre. » Ouest-France, article du 17 juillet 2024 : Assemblée nationale. Quels sont les avantages à avoir quelqu’un de son parti comme président(e) ? (ouest-france.fr)

 

Illustration de Margot Soulat

Quid de la 4e position du podium ?

Le président de l’Assemblée, humble quatrième de l’État, se trouve derrière le Président de la République, le Premier ministre et le Président du Sénat.

Le Sénat et l’Assemblée n’ont pas le même niveau de compétence. Les deux Présidents sont donc tous les deux dotés de forts pouvoirs, mais pas les mêmes.

Par exemple, en cas de démission ou de décès du Président de la République, le Président du Sénat reprend son poste par intérim le temps d’une nouvelle élection présidentielle. C’est pour cette raison précise que le Président du Sénat peut se targuer d’être 3e sur le podium de l’Etat devant celui de l’Assemblée, et ce malgré le fait qu’il ait moins de pouvoir de contrôle sur le Gouvernement.

De son côté, seule l’Assemblée a la capacité de faire démissionner un gouvernement (grâce à la motion de censure) et peut se faire dissoudre par le Président de la République (ce qui arriva coup sur coup en 1962, sous le Général de Gaulle qui ne prenait pas très bien le départ forcé de son ministre Pompidou).

De ce fait, l’Assemblée a énormément de pouvoir si elle arrive à se mettre d’accord, mais elle demeure un plomb pouvant sauter à la première instabilité politique. Le Sénat, pour sa part, demeure quoiqu’il arrive. 

Illustration de Margot Soulat

Le Congrès n’est pas qu’un truc d’étasuniens

Chez L’À-Propos, d’autres compétences de ce fameux poste de Président de l’Assemblée attirent notre attention. En effet, si le Perchoir présente un enjeu fondamental, c’est qu’il dispose d’aptitudes juridiques spécifiques, pouvant faire écho à certains éléments historiques pas des plus joyeux.

Si le Président de la République souhaite réviser la Constitution, il doit faire appel au Congrès. Le Congrès regroupe l’ensemble des députés de l’Assemblée et des sénateurs du Sénat réunis dans de nouveaux bureaux (Versailles, rien que ça) pour voter cette révision. C’est le seul moment où le Président de la République peut s’adresser directement aux deux chambres. En temps normal, celui-ci est interdit d’entrée à l’Assemblée et au Sénat, pour mieux séparer les pouvoirs législatif et exécutif.

Réviser la Constitution est nécessaire pour changer d’importants champs de notre système politique, comme pour modifier la durée maximale du mandat présidentiel ou préciser le nombre légal de mandats consécutifs.

Or, seul le Président de l’Assemblée préside ce Congrès. À ce titre, il dispose de pouvoir similaires qu’à l’Assemblée nationale, de régulation des débats et de modération des prises de parole. Comme au Palais Bourbon, le Président de l’Assemblée « est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure du Congrès. À cet effet, il fixe l’importance des forces militaires qu’il juge nécessaires ; elles sont placées sous ses ordres. »[1]

Cette compétence du Président de l’Assemblée, non sans rappeler les évènements du siècle dernier, demeure souvent inexplorée, alors que, pour notre avenir institutionnel et au regard de notre actualité politique, elle pourrait se révéler d’une utilité redoutable.

À lire aussi pour davantage de clarté : Le lexique pour comprendre l’organisation et le fonctionnement de l’Assemblée nationale (lemonde.fr)


Un article de Charlotte Culine


[1] Article 5 du règlement du Congrès (Règlement du Congrès du Parlement ~ Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)) et Article 12 du règlement de l’Assemblée (Règlement de l'Assemblée nationale - Textes de référence - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr))